La fin de l'autorité présidentielle

Publié le par nicolas


      Par Édouard Husson, historien de l'Allemagne contemporaine, qui note l'absence d'instinct et de maîtrise de Nicolas Sarkozy dans l'exercice du pouvoir.
Rien n'est plus difficile que de diriger des hommes, a fortiori quand il s'agit d'exercer la fonction de Président d'une république de plus de soixante millions d'habitants. Nicolas Sarkozy va en faire, toujours plus, l'amère expérience. Quel curieux homme que l'actuel président de la République. Il a montré un réel talent pour conquérir son actuelle fonction. Mais, maintenant qu'il y est parvenu, il semble être dénué de tout instinct quant à l'exercice du pouvoir.
Quelques scènes reviennent immédiatement à l'esprit: le président élu jouissant ostensiblement de l'argent mis à sa disposition par des grands patrons dès le soir de son élection; défiant la France entière lorsqu'on lui reproche le prix de la montre qu'il porte au poignet, la remplaçant par une "encore beaucoup plus chère"; étalant de façon impudique son nouvel amour et affichant son bonheur personnel d'époux récent d'une millionnaire au moment où tant de Français se demandent comment ils vont boucler leur fin de mois; augmentant son salaire au lieu de contribuer à hausser le pouvoir d'achat des Français.

Question de tempérament ?
Peut-être tout cela aurait-il été finalement accepté par les Français si le nouveau président avait su garder ses distances, faire un usage rare de la parole présidentielle, agi plus que parlé, conservé au pouvoir tout son mystère. Mais Nicolas Sarkozy a choisi la voie contraire. De même qu'il jouit ostensiblement de l'argent mis à sa disposition, il expose en permanence sa fonction. Il est non seulement en permanence à l'écran mais il pratique une version pour le moins curieuse d'un "pouvoir proche du citoyen". Aucune maîtrise, aucune retenue: un marin-pêcheur lui lance un quolibet, le président lui propose, entouré de ses gardes du corps, une baston, comme dans une cour d'école; le "casse-toi, pauvre c..." lancé à un contestataire au salon de l'agriculture restera un épisode tristement célèbre de la déchéance de la fonction présidentielle; tout comme le "on va vous niquer" lancé à François Hollande dans un avion ramenant les principaux responsables politiques français du Liban, alors que Nicolas Sarkozy lui-même les avait invités à l'accompagner.
Valéry Giscard d'Estaing avait, voici trente ans, voulu abolir toute distance entre lui-même et les citoyens. Il n'avait pas la vulgarité de Nicolas Sarkozy et n'aurait jamais insulté personne en public mais les Français, en 1981, lui ont tenu rigueur de son mélange d'arrogance de grand-bourgeois et d'abolition du mystère qui doit entourer le pouvoir. Ses deux successeurs, François Mitterrand et Jacques Chirac, avaient retenu la leçon - il est vrai que leur tempérament les poussait, chacun à sa manière, à prendre de la hauteur par rapport aux affaires politiques ordinaires, à créer une distance entre eux-mêmes et les gouvernés. Sans s'en rendre compte, Nicolas Sarkozy est revenu aux erreurs giscardiennes, en les accentuant par une absence de contrôle de soi.
Dire que Nicolas Sarkozy n'a, paradoxalement, pas l'instinct du pouvoir, c'est remarquer qu'il ne comprend pas, à la différence de ses deux prédécesseurs, comme le pouvoir est difficile à manier pour celui qui l'exerce, comme il peut se retourner du jour au lendemain contre lui. Celui qui s'élève au-dessus de tous les autres s'expose. L'adulation peut se retourner instantanément en détestation, l'admiration en envie, "la roche tarpéienne est proche du Capitole". Avoir l'instinct du pouvoir, c'est mettre une distance entre soi-même et les administrés, c'est multiplier les intermédiaires, qui pourront essuyer la colère populaire, sauvegardant le prestige du chef suprême, c'est donner du poids à la parole présidentielle en la rendant rare et quelquefois obscure.

Le déclin de l'autorité
L'individu démocratique est encore plus exigeant vis-à-vis de ceux qu'il élève sur le pavois que ne l'étaient ses ancêtres vis-à-vis de leurs monarques. La confiance accordée est provisoire et le droit d'être au-dessus des autres n'est accordé que conditionnellement. Contrairement à l'opinion répandue, le chef démocratique doit inspirer un respect absolu. Les spécialistes en communication qui ont amené les responsables politiques à "se déshabiller en public" en permanence ont accompagné le déclin du fonctionnement des institutions démocratiques.
Nous vivons en direct le déclin de l'autorité de Nicolas Sarkozy. Sa chute dans les sondages a été spectaculaire l'hiver dernier; et le chef de l'État ne peut pas remonter s'il s'obstine à utiliser les mêmes méthodes, à étaler son goût de l'argent, exposer sa femme, insulter ses interlocuteurs en public, intervenir sur tous les sujets, y compris des questions insignifiantes. Les généraux et les professeurs redressent la tête alors que le chef de l'État leur affiche son mépris en public. Le président de France Télévision vient de franchir un seuil en retournant contre le Président sa façon de faire, parlant d'un jugement présidentiel comme "stupide et faux". Et cela ne s'arrêtera pas là.
Nicolas Sarkozy semble être inconscient du danger qu'il y a à se mettre à la portée de ceux qu'on gouverne tout en ne cessant de répéter que l'on est le chef. Il risque de servir d'exutoire aux frustrations de la société française, les faits se mettant à mimer la violence de ses propos. Quand l'on force un chef d'Etat major à démissionner pour une défaillance locale, on s'expose à devoir un jour quitter le pouvoir contraint et forcé pour une bavure policière en banlieues. Quand on explique publiquement que la justice a été trop lente à poursuivre le précédent président de la République, on prend le risque d'être un jour soi-même sans recours face à la justice. Quand on dit à un simple citoyen "casse-toi, pauvre c...", il est probable que l'on quittera l'Élysée sous les injures.

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